Crypto-actifs : vers plus de sécurité réglementaire

Alors qu’un grand nombre de parties prenantes dans le monde étudient activement le potentiel des crypto-actifs et la manière dont le secteur financier pourrait en bénéficier, les régulateurs sont quant à eux confrontés à la difficile tâche de trouver un juste équilibre entre promotion de la tokenisation dans l’espace financier et régulation adéquate de ses risques.

L’incertitude réglementaire reste à ce jour un obstacle majeur entravant le développement des crypto-actifs dans les services financiers. Plus de convergence réglementaire et de clarté sont nécessaires pour que l’écosystème puisse se développer de manière saine.

La consultation lancée par la Commission européenne en décembre 2019 vise à résoudre ces problèmes en évaluant la meilleure façon de réglementer les crypto-actifs. Cette initiative pourrait être cruciale pour libérer le potentiel des crypto-actifs au niveau de l’UE.

Qu’il s’agisse d’acteurs financiers, d’États, d’organismes internationaux de normalisation, d’entités supranationales ou de banques centrales, la tokenisation est une tendance internationale qui semble ne plus pouvoir être ignorée.

En effet, les crypto-actifs (actifs tokenisés à l’aide de la technologie registre distribué ou DLT – communément appelée technologie blockchain) bénéficie d’un regain d’intérêt de la communauté financière. Les impératifs de protection des investisseurs ont conduit de nombreuses juridictions à adapter leur cadre juridique au phénomène des tokens.

Une crypto-réglementation fragmentée d’un pays à l’autre

La France a par exemple récemment mis en place un régime juridique optionnel pour les ICOs et les prestataires de services sur crypto-actifs (qui ne sont pas considérés comme des instruments financiers au sens du droit de l’UE). Ce nouveau cadre facultatif offre une meilleure protection aux investisseurs en réglementant les fournisseurs de services de crypto-actifs. Il rend également obligatoire l’enregistrement des services de garde de crypto-actifs pour un tiers et l’achat / vente de crypto-actifs.

L’Allemagne est un autre bon exemple puisque le régulateur allemand a déjà approuvé un certain nombre d’offres de security tokens (STOs). En novembre 2019, une législation emblématique a été adoptée concernant les prestataires de services sur crypto-actifs. Les nouvelles règles comprennent une définition des crypto-actifs et réglementent les fournisseurs de services de «crypto-conservation». Les entreprises souhaitant stocker, transférer et échanger des crypto-actifs doivent désormais obtenir une licence auprès du régulateur allemand.

Un mécanisme de droits acquis a également été introduit pour les entreprises qui conservent déjà des crypto-actifs en Allemagne. Ces initiatives nationales illustrent l’un des principaux problèmes rencontrés par les initiatives DLT, à savoir l’incertitude réglementaire.

Alors que les autorités nationales commencent à réglementer les crypto-actifs et les services connexes afin de soutenir l’innovation, la crypto-réglementation risque de devenir de plus en plus fragmentée d’une juridiction à l’autre, menant à plus d’arbitrage réglementaire et à une plus grande incertitude juridique pour les acteurs du marché.

L’UE semble cependant bien consciente que ces incertitudes représentent un obstacle majeur au développement de l’écosystème « crypto » au-delà des cadres nationaux. En effet, les nouvelles technologies et la tendance à la numérisation modifient considérablement le système financier européen et transforment la manière dont les services financiers sont fournis aux entreprises et aux citoyens de l’UE.

Une nouvelle stratégie de finance digitale pour l’UE

Afin de promouvoir la digitalisation de la finance en Europe tout en régulant adéquatement ses risques, la Commission européenne travaille ainsi sur une nouvelle stratégie de finance digitale pour l’UE, qui permettrait de saisir tout le potentiel de l’ère numérique en renforçant la capacité de l’industrie et en encourageant l’innovation dans un cadre juridique certain et sécurisé.

Dans le but de rendre le cadre réglementaire des services financiers de l’UE plus convivial pour l’innovation, la Commission a publié une consultation publique en décembre 2019 sur le développement d’un cadre réglementaire européen pour les crypto-actifs

La consultation est articulée autour de 4 axes principaux:

  1. Questions d’ordre général visant à évaluer l’utilisation qui est faite des crypto-actifs par le grand public.
  2.  Questions autour de l’opportunité et de la méthodologie de classification à adopter pour les crypto-actifs. Cette partie vise tous les crypto-actifs, qu’ils soient assimilables à des instruments financiers au sens de la législation européenne en vigueur (MiFID II), qualifiés de « monnaie électronique » (EMD2), ou qu’ils n’aient pas de qualification juridique.
  3. Questions autour de la nécessité de créer un cadre réglementaire européen ad hoc pour les crypto-actifs qui sortent du champ d’application de la législation financière, identification des risques et des actions prioritaires à mener.
  4. Questions portant sur les crypto-actifs qui relèvent du champ d’application de la législation de l’UE, c’est-à-dire ceux qui sont qualifiables d ‘« instruments financiers» au sens de MiFID II et ceux qui sont qualifiés de «monnaie électronique» au titre d’EMD2.

Première étape dans la préparation du futur cadre réglementaire européen pour les crypto-actifs, cette consultation ouvre la voie à la Commission européenne qui a prévu une publication sur le sujet au troisième trimestre 2020.

Quant à la forme que pourrait prendre la réglementation européenne sur les crypto-actifs, la Commission semble vouloir adopter une approche réglementaire flexible, s’appuyant sur un large éventail d’outils réglementaires.

Pour les security tokens (les crypto-actifs qualifiables d’instruments financiers au sens de MiFID II), une des pistes privilégiées serait de mettre en place un cadre d’expérimentation au niveau de l’UE (une sandbox à l’européenne), accompagné d’amendements législatifs ciblés et d’une communication interprétative. Ce cadre expérimental aurait le bénéfice d’accorder le droit aux autorités nationales compétentes d’accorder des exemptions ciblées sur certains aspects clés de la réglementation financière de l’UE qui seraient inadaptés aux tokens et plus largement, aux environnements DLT.

Concernant les fournisseurs de services sur les crypto-actifs non régis par la législation financière existante (les utility tokens par exemple), un mécanisme de passeport européen pourrait être introduit soit par le biais d’un régime juridique européen optionnel, ou bien par la création d’un régime européen harmonisé entre États membres. Enfin, les stablecoins ne sont pas en reste puisque la Commission envisagerait de définir des mesures législatives dédiées – mesures qui s’appuieraient notamment sur les travaux du Conseil de Stabilité Financière en matière de stablecoin.

Une telle approche, destinée à soutenir l’innovation, pourrait enfin apporter aux acteurs DLT la certitude réglementaire qui leur est cruciale pour développer leurs projets, tout en laissant assez de temps aux régulateurs pour évaluer correctement les risques associés à mesure que le marché des crypto-actifs continue de mûrir.

Comme souvent, entre promotion de l’innovation et protection des investisseurs, les régulateurs sont confrontés au défi qui est de trouver le juste équilibre entre une réglementation insuffisante – avec tous les risques qu’elle peut entraîner pour les investisseurs; et une réglementation trop extensive – qui étoufferait le développement de la tokenisation au sein des services financiers. Il ne reste plus qu’à voir quel équilibre la Commission retiendra dans son approche réglementaire. Rendez-vous vers la fin de l’année pour en savoir plus.