La marge initiale pour les dérivés non compensés : préparation de la prochaine étape

Depuis le 1er septembre 2016, les règles portant sur les marges initiales des opérations sur dérivés non compensés entrent progressivement en vigueur. Cette mise en œuvre se faisant en plusieurs étapes (la 4e débutant au 1er septembre 2019), un nombre croissant de participants au marché doit s’adapter chaque année à de nouvelles exigences.

Les étapes 5 (septembre 2020) et 6 (septembre 2021) auront une influence significative sur un nombre important de sociétés, aux rangs desquels les investisseurs institutionnels.

Modification des règles applicables aux dérivés non compensés centralement

L’échange des marges initiales (MI) pour les opérations sur dérivés non compensés est devenu une pratique courante, tout du moins pour les sociétés relevant du champ d’application de ces règles lors des étapes initiales (de 1 à 4).

Cela étant, ces règles portant sur les marges initiales ont de nombreuses spécificités, en raison de la nature du calcul des montants des MI, du principe d’échange bilatéral de marge (en vertu duquel chaque partie dépose et reçoit la marge en même temps) et des aspects relatifs au principe de séparation des actifs par le dépositaire. D’après l’ISDA, le processus de conformité est complexe et peut prendre entre 12 et 18 mois en moyenne.

Le calendrier

Le calendrier de mise en œuvre des règles auxquelles sont soumises les entreprises dépend du franchissement, par le montant notionnel moyen agrégé (« aggregate average notional amount » ou AANA) de leurs dérivés non compensés centralement, d’un seuil réglementaire déterminé à l’avance. L’ensemble des instruments (y compris les opérations sur contrats de change à terme et swaps de devises réglés physiquement) est pris en compte dans le calcul de ce AANA, même s’ils bénéficient d’une exemption en matière d’échange de marges initiales.

Jusqu’à récemment, le mois de septembre 2020 était censé être la cinquième et dernière étape avec un seuil AANA fixé à 8 milliards d’euros. Compte tenu de la forte augmentation du nombre d’établissements concernés par la date limite de septembre 2020, le Comité de Bâle et l’OICV ont publié en juillet 2019 un cadre réglementaire révisé stipulant que le seuil applicable en 2020 serait relevé de 8 à 50 milliards d’euros et que celui de 8 milliards serait reporté à septembre 2021. Cette décision sera prochainement appliquée dans chaque juridiction.

Les contreparties concernées

La plupart des contreparties financières négociant des dérivés non compensés entreront dans le champ d’application et les exemptions seront très limitées. Ces règles sont aujourd’hui transposées dans de nombreuses juridictions (Union européenne, États-Unis, Japon, Australie, Hong Kong, Singapour, etc.). Dans les nombreuses juridictions où celles-ci sont appliquées, la plupart des transactions transfrontalières réalisées avec des entités immatriculées dans des juridictions de pays tiers entrent dans le champ d’application, compte tenu du traitement réservé aux entités originaires de ces pays.

Une étude publiée en juillet 2018 par l’ISDA et la Securities Industry and Financial Markets Association (SIFMA) a estimé à plus de 1 000 le nombre de sociétés entrant dans le champ d’application de la dernière étape (dont le seuil AANA est fixé à 8 milliards d’euros).

Les instruments concernés

Le champ d’application des instruments dérivés non compensés soumis à une marge initiale est généralement homogène entre les principales juridictions d’Europe, d’Asie-Pacifique et des États-Unis. Les opérations sur contrats de change à terme et swaps de devises réglés physiquement sont exclus dans l’ensemble des juridictions. Il convient cependant de noter que certaines exemptions peuvent s’y appliquer de manière permanente (par exemple, les options sur actions et les forwards sont hors du champ d’application aux États-Unis) ou temporaire (ainsi, les options sur actions font l’objet d’une exemption dans l’UE jusqu’au 4 janvier 2020 seulement).

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Vers la phase de mise en œuvre

La mise en œuvre des règles de marge initiale monte progressivement en puissance à chaque nouvelle étape. D’après l’étude publiée par l’ISDA et la SIFMA en juillet 2018, plus de 9 000 nouveaux contrats de collatéral devront être signés. Et contrairement à la marge de variation, concept bien établi au sein de la plupart des entreprises concernées, celui de marge initiale est assez nouveau, plus particulièrement pour les investisseurs institutionnels. Il concerne non seulement les différentes parties aux transactions, mais également les dépositaires en raison du principe de séparation des garanties (« collateral »).

Le calcul de la marge initiale

Le calcul de la marge initiale se base un calcul du risque, ce qui la différencie fortement de la marge de variation (calculée sur la base des valeurs de marché des opérations).

En application des règles en vigueur à l’échelle mondiale, le calcul de la marge initiale doit reposer sur une méthode à base de tableaux (« table-based method ») ou sur un modèle interne, avec un intervalle de confiance unilatéral de 99 % sur une « période de marge en risque » (ou horizon) d’un minimum de 10 jours.

S’agissant du modèle interne, l’ISDA a développé un « Modèle de marge initiale standard » (« Standard Initial Margin Model » ou SIMM) qui a notamment pour but de faciliter la mise en œuvre du processus de calcul par les participants de marché et d’éviter des discussions sans fin sur les chiffres de marge initiale. Adopté par une majorité d’entreprises entrant dans le champ d’application car il tient compte des risques de compensation d’un portefeuille de dérivés, ce modèle est réputé être plus efficace que la méthode à base de tableaux.

Concernant les entreprises qui ont opté pour le modèle interne (il est considéré que le SIMM fait partie intégrante), ces règles imposent également de mettre en place une gouvernance de « style prudentiel » notamment grâce à un processus continu de simulations historiques dit back-testing (A noter : aux Etats-Unis, cette exigence s’applique uniquement aux négociants de swaps et aux « Major Swap Participants »).

Un objectif : la ségrégation des garanties

Les réglementations nécessitent un cadre dit « insolvency-remote » qui empêche la réutilisation du collatéral. À ce titre, les marges initiales sont transférées en faveur de la partie titulaire d’une sûreté dans le cadre d’un système de sûretés, et une conservation spécifique des actifs doit être mis en œuvre afin de protéger les actifs en cas de défaut de l’une des parties de la transaction. Ce cadre s’appuie sur une Convention de suivi des comptes (« Account control agreement » ou ACA) dite trilatérale et signée entre les parties et un dépositaire.

Le mécanisme des instructions sur le nantissement et la levée du collatéral peut s’avérer complexe. La grande majorité des entreprises qui ont déjà mis en place les échanges de  marge initiale a choisi de recourir à des agents tripartites en raison de leur capacité naturelle à gérer quotidiennement les mouvements de ces nantissements/levées et tout simplement dès réception des messages sur les expositions (message MT527 / RQV).

Anticiper les changements

Malgré la récente modification du calendrier qui accorde un an de plus aux entreprises en étape 6 (dont le AANA varie entre 8 et 50 milliards d’euros), les entreprises qui estiment etre impactées prochainement par l’étape 5 et 6 vont devoir accorder toute leur attention à ce sujet.

Celles-ci ont divers moyens de s’y conformer, soit en les mettant en œuvre grâce à leurs propres moyens, soit en désignant un prestataire de services à même de proposer une solution de bout en bout pour le calcul des MI, des services de gestion des expositions et d’agent tripartite et une séparation des actifs par le dépositaire. Par ailleurs, il est possible de générer des gains d’efficacité opérationnelle en rassemblant au sein d’une seule et même équipe la gestion des marges initiales et de variation de marge, notamment pour :

  • Gérer de manière homogène les journaux de transactions pour le calcul des volumes d’exposition aux marges initiales et de variation
  • Rendre homogène les modèles de calcul des valorisations et des sensibilités
  • Mettre en place des canaux de communication simplifiés pour les appels de marge et la résolution des différends avec les contreparties

Quelle que soit l’option retenue, un temps d’adaptation sera nécessaire pour les entreprises, qui devront pour cela mettre en place une solide structure de gouvernance et de gestion de projets. Pour ce qui est du calendrier et de la planification, il est essentiel de tenir compte des dépendances entre les départements internes (Front office, Risk, Legal, Operations et IT) et les prestataires externes (prestataires de services et dépositaires) pour éviter une précipitation de dernière minute avant la date limite de mise en conformité.