Les facteurs ESG séduisent de plus en plus d’investisseurs

Année après année, l’intégration des critères ESG prend une importance croissante chez les détenteurs d’actifs (asset owners) et les gestionnaires d’actifs. Ces derniers peinent toujours à intégrer pleinement le facteur social dans leur cadre d’investissement, alors que l’on voit des progrès notables sur le critère environnement. Même si les critères ESG sont pris en compte, la transformation en profondeur de leur organisation, pour intégrer ces critères à grande échelle, reste difficile.

Les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) gagnent du terrain auprès des investisseurs. Telle est la conclusion de l’Enquête ESG 2019 réalisée par BNP Paribas Securities Services auprès de 347 gestionnaires et détenteurs d’actifs. Ainsi, 75 % des détenteurs d’actifs ont placé au moins 25 % de leurs investissements dans des fonds ESG, soit un gain de 27 % par rapport au précédent rapport de 2017. Les gestionnaires d’actifs ne sont pas en reste puisque 62 % d’entre eux ont investi au moins 25 % de leurs capitaux dans des fonds ESG, en hausse de 9 % en l’espace de deux ans. « En 2017, lors de notre précédente enquête, nous avions conclu que les détenteurs comme les gestionnaires d’actifs en étaient, pour la plupart, au stade des intentions et que les actions concrètes manquaient cruellement, note Florence Fontan, responsable de la clientèle institutionnelle chez BNP Paribas Securities Services. En 2019, les acteurs sont désormais clairement passés à l’acte. »

L’avenir s’annonce même sous les meilleurs auspices pour l’intégration ESG puisque 92 % des détenteurs d’actifs et 90 % des gestionnaires d’actifs prévoient de placer au moins 25 % de leurs investissements dans des fonds ESG.

Amélioration des performances

Ce regain d’intérêt pour les critères ESG ne doit rien au hasard. De fait, la principale source de motivation réside désormais dans la performance à long terme que procurent les fonds ESG. Plus de la moitié des investisseurs (52 %) sont en effet convaincus d’obtenir de meilleures performances à long terme grâce à l’intégration des facteurs ESG. « Pendant longtemps, les investisseurs devaient choisir entre intégration des critères ESG et performance financière, rappelle Florence Fontan. Aujourd’hui, ce débat est clos et les investisseurs ont la conviction que l’intégration ESG doit leur permettre de générer une performance à long terme et durable. » Preuve en est que 60 % des investisseurs sondés s’attendent désormais à une rentabilité de leurs portefeuilles ESG supérieure à celle du marché au cours des cinq prochaines années.

Mais la performance financière ne saurait être la seule source de motivation. Pour 47 % des investisseurs interrogés l’intégration des critères ESG doit leur permettre d’améliorer leur image de marque et leur réputation. « Il y a deux ans, le thème de la réputation était considéré sous un angle marketing, nuance toutefois Florence Fontan. Désormais, détenteurs d’actifs et sociétés de gestion l’envisagent dans une optique de développement de leur activité. Ils sont conscients de l’importance d’avoir ce positionnement ESG. »

Une plus grande maturité

Au-delà des chiffres, détenteurs et gestionnaires d’actifs ont surtout gagné en maturité dans leur manière d’appréhender les critères ESG. De fait, les facteurs « environnement » et « gouvernance » sont aujourd’hui très bien compris par les institutions financières. Cette situation « s’explique par une hausse significative des exigences des investisseurs qui ont des attentes plus fortes sur les réponses ESG que nous pouvons leur fournir », indique Florence Fontan. « Historiquement, les institutions financières étaient dans le simple énoncé de valeurs, ajoute-t-elle. Aujourd’hui, les investisseurs attendent davantage de track record et de capacités de reporting. Nous observons donc un niveau d’exigence supérieur mais aussi un besoin de plus de granularité et, surtout, des faits. Il y a donc une vraie appropriation des sujets. »

Tous les critères ESG ne sont toutefois pas égaux face à la capacité des investisseurs à les intégrer dans leur approche d’investissement. A ce titre, le critère « social » a visiblement toujours du mal à trouver sa place chez les investisseurs. Ainsi, 46 % d’entre eux jugent que le facteur social reste celui qui est le plus difficile à analyser et à intégrer. L’absence de données fiables et structurées en la matière explique très largement la difficulté rencontrée. « Les investisseurs recherchent des faits, des éléments tangibles. Sur le facteur environnement, tous les scientifiques ont réussi à développer des indicateurs quantitatifs, à l’image de l’empreinte carbone. Nous disposons de chiffres et d’éléments que nous pouvons mesurer, explique Florence Fontan. Sur le volet social, la situation est plus compliquée. Au-delà de données sur la répartition hommes-femmes au sein des entreprises ou sur la pyramide des âges, les investisseurs éprouvent encore des difficultés pour identifier les bons outils de mesure. Le facteur social est finalement protéiforme et l’industrie ne s’est pas encore mis d’accord sur les indicateurs clés à suivre. »

Cette absence de cadre de référence sur le facteur social peut expliquer qu’en l’espace de 2 ans, les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies soient devenus une véritable base de référence, voire une boussole pour les investisseurs (lire l’encadré). « Grâce aux indicateurs identifiés par l’ONU, ces ODD vont permettre aux investisseurs de s’approprier plus facilement le critère social, même si nous n’y sommes pas encore à l’heure actuelle », note Florence Fontan.

Les données, nerf de la guerre

Si une très large majorité de détenteurs et de gestionnaires d’actifs sont passés à l’acte en l’espace de deux ans, force est pourtant de constater qu’un grand nombre d’entre eux peinent encore à intégrer les critères ESG en raison d’obstacles difficiles à franchir. A ce titre, les données constituent toujours le nerf de la guerre. Ainsi, Pour 66 % des gestionnaires et investisseurs interrogés, le manque de données constitue le principal frein à l’intégration des critères ESG, que ce soit en raison d’une couverture incohérente d’une classe d’actifs à l’autre, de notations ou d’indices ESG contradictoires voire de données manquantes qui empêchent l’analyse des scénarios. Et pour cause. « Depuis 2017, la quantité de données disponibles a explosé, au point d’être dans une situation de trop plein de données, souligne Florence Fontan. Les investisseurs se trouvent désormais confrontés à un problème de cohérence, de conformité et, donc, de qualité de ces données. »

Dans un tel contexte, les investisseurs éprouvent de plus en plus le besoin de recourir à de multiples fournisseurs de données, faute de standard de marché en la matière, afin de se faire une idée objective de la façon dont les facteurs ESG affectent leurs investissements. « Il existe encore des incohérences sur la typologie des données et, donc, un problème de qualité, de cohérence et de couverture, ajoute Florence Fontan. En outre, le niveau d’exigence des investisseurs a augmenté, en particulier pour ce qui touche au niveau de granularité. Et le problème de cohérence et de qualité des données est de plus en plus fort. »

Une faible transformation des organisations

Le développement de l’intégration des facteurs ESG ne doit toutefois pas faire oublier que rares sont encore les institutions financières qui ont transformé leur modèle opérationnel et leur organisation. De fait, seuls 23 % des investisseurs sondés déclarent que les ressources ESG sont pleinement intégrées à l’ensemble de l’organisation. De même, seules 26 % des personnes interrogées estiment que leur organisation est capable d’intégrer la stratégie ESG dans tous les aspects de ses opérations. « La route est encore longue mais nous rentrons désormais dans une phase d’intégration des critères ESG dans les processus cœur des institutions financières », avance pourtant Florence Fontan. De fait, les investisseurs ne cachent pas vouloir développer davantage l’expertise ISR au sein de leur organisation, par le biais de formation à grande échelle ou de recrutements de collaborateurs issus d’organisation non gouvernementales (ONG). « Les investisseurs ont une réelle volonté de changer de culture pour diffuser plus largement la compréhension des enjeux ESG », conclut Florence Fontan. Reste maintenant aux gestionnaires et aux détenteurs d’actifs à transformer l’essai.

La France en première ligne sur les ODD

Initiés en 2015 par l’ONU, les Objectifs de Développement Durable (ODD) trouvent de plus en plus grâce aux yeux des investisseurs. De fait, 65 % des gestionnaires et des détenteurs d’actifs déclarent que leur cadre d’investissement est désormais aligné avec ces ODD. Les détenteurs d’actifs ouvrent clairement la voie puisque 71 % d’entre eux s’alignent déjà sur les ODD contre 58 % pour les gestionnaires d’actifs. « Les ODD offrent un cadre très vaste mais l’objectif général est facilement compréhensible par tout le monde, explique Florence Fontan. C’est également un merveilleux outil de communication pour embarquer toutes les parties prenantes, tant en interne qu’en externe. »

A cet égard, la France compte une belle longueur d’avance. En effet, 71 % des répondants français ont déclaré aligner leur cadre d’investissement sur ces fameux ODD. La France a pu compter sur l’élan et les retombées de la COP 21, « les grandes entreprises ayant été embarquées par ce mouvement, avec un vrai enjeu de réputation et de marque du fait d’une prise de position forte du gouvernement français », évoque Florence Fontan. L’évolution du contexte réglementaire, à l’image de l’article 173 de la loi sur la transition énergétique, n’est également pas étrangère à cette forte prise de conscience. « La France est encore le seul pays qui impose aux investisseurs des reportings en matière de transition environnementale, rappelle d’ailleurs Florence Fontan. Cette législation a conduit un grand nombre d’institutionnels à se pencher sur le sujet. » D’ailleurs, 42 % des sondés français jugent que la réglementation est l’une des trois principales priorités pour intégrer les facteurs ESG à leur prise de décision d’investissement. Un pourcentage nettement plus élevé que celui du reste de l’Europe (31 %).

L’Union Européenne suit cette approche puisque des propositions législatives similaires ont été annoncées, ce qui devrait renforcer cette tendance au-delà des frontières françaises.