SRD II: quel impact pour les émetteurs, les investisseurs et les intermédiaires ?

Haroun Boucheta, responsable Public Affairs chez BNP Paribas Securities Services, se penche sur les effets de la nouvelle directive pour les émetteurs et les investisseurs, ainsi que pour les intermédiaires qui leur fournissent des services

SRD II a été élaborée en réponse à la crise financière et conçue pour accroître la transparence et renforcer l’engagement à long terme des actionnaires en vue de lutter contre les précédentes défaillances du marché. SRD II est largement reconnue par les acteurs du secteur comme étant une avancée positive.

Haroun Boucheta, responsable Public Affairs chez BNP Paribas Securities Services, se penche sur les effets de la nouvelle directive pour les émetteurs et les investisseurs, ainsi que pour les intermédiaires qui leur fournissent des services.

Quels sont les principaux objectifs de SRD II ? Et quels sont les avantages escomptés pour les émetteurs et les investisseurs ?

La première directive sur les droits des actionnaires ( SRD), est entrée en vigueur en 2007. Elle avait pour objectif de favoriser l’engagement des actionnaires en mettant en place des règles relatives à la transparence, aux droits de vote par procuration et à la possibilité de voter aux assemblées générales par voie électronique.

Toutefois, la crise financière de 2008 a mis en évidence un certain nombre de lacunes dans la directive initiale. La Commission européenne a notamment souligné les points suivants :

  1. Les actionnaires ont souvent soutenu une prise de risque excessive à court terme de la part des gestionnaires, qui mettaient trop l’accent sur les rendements à court terme
  2. Les actionnaires n’avaient pas la capacité de contrôler efficacement les sociétés dans lesquelles ils investissaient
  3. Certaines lacunes ressortaient dans l’engagement et le contrôle des investisseurs institutionnels, des gestionnaires d’actifs et des actionnaires à long terme
  4. La rémunération de certains administrateurs a été jugée excessive et non justifiée par rapport à la performance de leur entreprise
  5. L’exercice des droits des actionnaires était souvent compliqué et coûteux, en particulier dans les situations transfrontalières où les intermédiaires pouvaient être situés dans différents États

SRD II vise à remédier à ces insuffisances. Son objectif principal est d’encourager l’engagement à plus long terme des actionnaires, d’accroître la transparence du processus de vote et d’améliorer le dialogue entre les émetteurs et les investisseurs.

L’une des nouvelles exigences imposée aux émetteurs institutionnels, tels que les gestionnaires d’actifs, les fonds de pension et les compagnies d’assurance, consiste à élaborer une politique d’engagement envers leurs actionnaires et à la rendre publique. Si ces émetteurs choisissent de ne pas le faire, ils doivent en expliquer les raisons.

SRD II vise également à permettre aux actionnaires d’exercer plus facilement leurs droits et à faciliter le vote transfrontalier. Á cette fin, les intermédiaires devront s’assurer de faire passer les informations pertinentes de l’émetteur aux actionnaires, et vice versa.

L’accent est également mis sur l’amélioration de la transparence du processus de vote, y compris lorsque les services d’un tiers, tel que les conseillers en matière de vote ou une entreprise détenue, sont utilisés. Cela suppose de nouvelles exigences relatives à la transparence des politiques des conseillers en matière de vote et à l’identification des actionnaires afin que les émetteurs puissent communiquer directement avec les investisseurs.

L’autre grand changement est l’instauration du principe « say on pay ». Les actionnaires ont ainsi le droit de voter lors de l’assemblée générale sur la politique de rémunération des administrateurs, ainsi que sur le rapport de rémunération qui détaille la rémunération de chaque administrateur au cours de l’exercice comptable précédent.

BNP Paribas Securities Services soutient ces objectifs. Comme nous l’avons mentionné dans un précédent memo réglementaire, une transparence accrue pourrait favoriser le dialogue entre les émetteurs et leurs actionnaires. Et en combinaison avec d’autres initiatives visant l’engagement à long terme et la diversification des sources de financement pour les émetteurs, SRD II pourrait conduire à un engagement et à un investissement à plus long terme dans les sociétés émettrices.

Que signifie SRD II pour les dépositaires et autres intermédiaires ?

SRD II doit être lue en combinaison avec le Règlement d’exécution 2018/1212 de la Commission du 3 septembre 2018. Celui-ci contient une liste d’obligations pour les émetteurs et les intermédiaires, y compris les dépositaires et les autres prestataires de services titres.

La première nouvelle exigence est d’ordre technologique. En vertu de SRD II et du Règlement d’exécution, toute transmission entre intermédiaires devra être effectuée dans des formats ISO électroniques et lisibles par machine.

Les autres nouvelles exigences relatives aux intermédiaires concernent l’organisation des assemblées générales et des événements d’entreprise, dans le but de renforcer l’efficacité de la chaîne d’intermédiaires et d’améliorer la transmission de l’information tout au long de celle-ci.

Par exemple, le dernier intermédiaire de la chaîne doit confirmer à l’actionnaire (ou à un tiers désigné par l’actionnaire) son habilitation à exercer ses droits d’actionnaire dans le cadre d’une assemblée générale. Les intermédiaires doivent également transmettre à l’émetteur des notifications actualisées de participation des actionnaires à l’assemblée générale, tandis que le dernier intermédiaire s’assure que les informations concernant le nombre de voix exprimées sont conformes. La réception, l’enregistrement et la prise en compte des votes doivent également être confirmés.

Les informations à fournir sur les événements d’entreprise donnent aux intermédiaires des délais stricts en ce qui concerne les opérations sur titres et les processus d’identification des actionnaires. Plus particulièrement, le premier intermédiaire et tout autre intermédiaire recevant les informations relatives à un événement d’entreprise transmettent ces informations sans tarder à l’intermédiaire suivant de la chaîne et au plus tard à la clôture du jour ouvrable de réception des informations. Cet accent mis sur la transmission immédiate des informations représente un défi à la fois technologique et pratique.

De la même manière, toute demande de divulgation de l’identité d’un actionnaire est transmise sans délai par les intermédiaires à l’intermédiaire suivant de la chaîne, au plus tard à la clôture du jour ouvrable de réception de la demande. La réponse à une telle demande est fournie et transmise sans délai par chaque intermédiaire au destinataire désigné dans la demande, au plus tard dans le courant du jour ouvrable suivant.

Le Règlement d’exécution régissant ces changements entrera en vigueur à partir du 3 septembre 2020.

La technologie (et la technologie des registres distribués notamment) peut-elle redéfinir les relations entre les émetteurs et leurs actionnaires ?

Là où il est question d’une chaîne d’intermédiaires, en particulier dans les situations transfrontalières, et lorsque les parties doivent transmettre sans délai des informations spécifiques au format ISO et utiliser des moyens électroniques tout au long de cette chaîne, les nouvelles technologies, notamment la technologie des registres distribués (DLT en anglais), pourraient aider les entreprises à répondre aux nouvelles exigences.

BNP Paribas Securities Services participe actuellement à diverses discussions et initiatives de marché dans ce domaine. Par exemple, nous collaborons avec un certain nombre d’infrastructures de marché et de dépositaires de grande taille en vue de créer des outils indépendants ou des normes de marché qui fonctionneront comme une golden source à laquelle tous les intermédiaires de la chaîne pourront recourir. BNP Paribas Securities Services croit fermement que seule une solution axée sur le marché aura des chances de réussir.

La technologie des registres distribués est l’une des options étudiées par le secteur, car de par sa nature, cette technologie nous permettrait de respecter les exigences de transparence de la directive. En outre, le Règlement d’exécution exige que les intermédiaires transmettent immédiatement les informations pertinentes, ce pour quoi la technologie des registres distribués est particulièrement adaptée.

Les cas d’utilisation de la technologie des registres distribués ont été relativement limités jusqu’à présent, mais une réelle tendance se dessine pour les acteurs du marché et les infrastructures de marché à tirer parti de cette technologie. Par exemple, l’Australian Securities Exchange (ASX) projette de mettre en service d’ici 2021 un nouveau système de clearing, de règlement et d’enregistrement des actions fondé sur la technologie des registres distribués, ce qui devrait permettre d’améliorer la tenue des registres et la qualité des données, de rationaliser les réconciliations et d’accélérer les opérations.

Le Hong Kong Exchange and Clearing Limited (HKEX) collabore également avec Digital Asset sur une plateforme d’allocation et de règlement post-marché en vue de traiter les actions chinoises cotées de catégorie A dans le cadre du programme Stock Connect. Le HKEX estime que la blockchain pourrait aider à relever les défis opérationnels de post-marché qui résultent du cycle de règlement strict des opérations en Chine continentale.

Reste à savoir si la technologie des registres distribués peut apporter la solution à nos obligations découlant de SRD II. Cependant, quelle que soit la solution à laquelle nous parviendrons, nous sommes convaincus que la technologie peut aider les acteurs du marché à fournir les nouveaux services exigés par la directive.

SRD II sera-t-elle appliquée de façon harmonisée dans toute l’Europe ?

Le fait que SRD II soit une directive et non un règlement signifie que les États membres de l’UE disposent d’une certaine marge de manoeuvre dans la manière dont ils transposent les règles dans leur propre législation nationale. Cela peut donner lieu à différentes interprétations.

Ces éventuelles divergences sont exacerbées par les dispositions spécifiques de la directive elle-même, qui permettent aux États membres de s’en écarter dans des domaines clés. En particulier, l’Article 9.c.6 indique que les États membres peuvent choisir d’exclure certaines opérations du champ d’application de la directive, à savoir :

  • Les opérations intragroupe ;
  • Certains types d’opérations pour lesquelles le droit national exige l’approbation de l’assemblée générale ;
  • Les opérations relatives à la rémunération des administrateurs ;
  • Les opérations effectuées par des établissements de crédit lorsque la stabilité financière est en jeu.

L’autre question qui se pose est de savoir si les investisseurs finaux pourront choisir de ne pas recevoir les informations relatives à l’assemblée générale. Cette possibilité d’exemption sera-t-elle inscrite dans la législation propre à chaque pays lors de la transposition de la directive ? Dans l’affirmative, les intermédiaires devraient filtrer les informations et personnaliser les rapports en fonction de ce que chaque investisseur souhaite faire, ce qui serait un casse-tête administratif.

Le Brexit engendre une complication supplémentaire

Cela dit, SRD II a une certaine portée extraterritoriale. Ses dispositions s’appliquent aux intermédiaires de pays tiers s’ils fournissent des services pour les actions de sociétés ayant leur siège social dans l’UE et si ces actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé dans l’Union. Après le Brexit, les institutions basées au Royaume-Uni, en tant que fournisseurs tiers, seront par conséquent tenues de se conformer aux dispositions de la directive si elles souhaitent continuer à offrir leurs services au sein de l’UE.

De même, une solution informatique à l’échelle du secteur devrait répondre aux exigences de tous les États membres. L’harmonisation des règles aiderait cet outil à être le plus efficace possible.