Comment la revue du règlement EMIR peut accroître l’attractivité des CCPs de l’UE ?

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On retrouve au cœur de la stratégie de la Commission européenne l’objectif d’autonomie et de résilience du système financier de l’Union et de l’euro, ce dernier ayant vocation à devenir de plus en plus stratégique afin d’accroître l’influence de l’UE sur les marchés financiers mondiaux.

À cette fin, l’équivalence des CCPs britanniques et la localisation de la compensation des IRS (interest rate swaps)  libellés en euros de manière plus spécifique (la majeur partie – environ 90% – des volumes se situe en dehors de l’Union , au UK) représente une problématique d’ordre systémique et stratégique. D’où la proposition de revue du règlement EMIR (appelée EMIR 3.0) ayant pour objectif principal d’accroître l’attractivité des CCPs de l’UE et d’encourager la relocalisation des opérations dites « systémiques » au sein de l’UE ainsi que de proposer des ajustements au texte existant.

EUR-Lex – 52022PC0697 – FR – EUR-Lex (europa.eu)

Les nouvelles règles proposées pour le règlement européen EMIR

EMIR 3.0 introduit des obligations supplémentaires pour les adhérents compensateurs et leurs clients ainsi que des modifications au cadre existant. Plus particulièrement, il prévoit :

Des mesures prescriptives visant à favoriser la relocalisation dans l’UE:

  • Obligation pour les contreparties financières et non financières éligibles d’avoir un compte actif auprès d’une CCP de l’UE. Ce compte est de nature quantitative (c.-à-d. avec des ratios et/ou des seuils) et son calibrage est délégué à l’ESMA;
  • Des exigences prudentielles « pilier 2 » visant à réduire toute exposition « excessive » à des segments systémiques de CCPs de pays tiers (IRS libellés en euros et CDS (credit default swaps);

Des incitations – positives ou négatives – visant à accroître la liquidité et l’attrait des CCPs européennes et de la compensation au sein de l’UE :

  • Une obligation pour les adhérents compensateurs et les clients fournissant des services de compensation de fournir des informations sur la possibilité de compenser dans une CCP de l’UE;
  • De nouvelles exigences pour les adhérents compensateurs et les clients fournissant des services de compensation d’assurer plus de transparence et de prévisibilité des modèles de marges des CCPs à l’égard de leurs clients ; bien qu’il y ait des carences dans le texte de la proposition sur les informations disponibles pour répondre à cette obligation;
  • Une simplification des procédures d’autorisation et de reconnaissance des CCPs et d’extension et/ou d’autorisation des activités et des services des CCPs;
  • L’élimination des limites de risque de contrepartie pour les dérivés compensés au sein d’une CCP pour les OPCVM.

Une révision de certaines règles existantes afin de préserver l’attractivité de la compensation dans l’UE:

  • Une revue des dérogations à l’obligation de compensation centrale ou bilatérale : modification du mécanisme pour les transactions intragroupes avec la mise en place d’une liste d’exclusion de certains pays (au lieu d’un système d’équivalence) afin d’en simplifier l’application;
  • Introduction d’une exemption pour les transactions avec les fonds de pension établis dans un pays tiers où il existe une exemption dans le droit national à l’obligation de compensation pour ces derniers;
  • L’ajout des garanties bancaires et des garanties publiques comme garanties éligibles aux appels de marge;
  • L’introduction d’outils supplémentaires pour faciliter la reconnaissance des CCP de pays tiers : la possibilité pour la Commission Européenne de déroger à l’obligation pour un pays tiers de disposer d’un cadre équivalent à EMIR comme préalable à la reconnaissance d’une CCP et la possibilité pour l’ESMA d’établir des modalités de coopération plus proportionnées;
  • Les entités publiques resteraient exemptées sous EMIR 3.0 de la compensation obligatoire de leurs transactions en instruments dérivés mais sont « encouragées » à compenser leurs transactions auprès d’une CCP de l’UE. Egalement, l’analyse des mesures correctives visant à réduire les obstacles potentiels qui peuvent compliquer le transfert des positions d’une CCP de pays tiers à une CCP de l’UE sont déléguées aux régulateurs nationaux (règles comptables, etc.).

Un équilibre entre une gestion saine des risques et un libre accès aux marchés internationaux

Si certaines de ces mesures devraient être bien accueillies par le secteur financier, les modalités de mise en œuvre de la proposition visant l’instauration d’un compte actif ou les mesures prudentielles ciblées laissent peu de place à des initiatives issues de l’industrie.

En outre, cette proposition d’EMIR 3.0 aurait due introduire des révisions relatives aux exigences de marges bilatérales et notamment une exemption permanente des exigences de marges pour les options sur actions afin de s’aligner sur d’autres juridictions (notamment les États-Unis). Cet exemple souligne la difficulté de concevoir un règlement qui puisse traiter de manière adéquate les aspects de stabilité financière dans l’UE et en même temps prendre en compte les complexités et la nature mondialisée des marchés financiers afin de protéger la compétitivité des acteurs européens.

Des considérations similaires peuvent être faites sur la difficulté de prendre en compte le caractère mondial des marchés financiers via la notion d’équivalence des CCPs de pays tiers où il est nécessaire de trouver un équilibre raisonnable entre une saine gestion des risques pour les adhérents compensateurs et un libre accès aux marchés internationaux pour les intermédiaires financiers européens et leurs clients. D’où l’introduction d’une possibilité pour la Commission de déroger à certaines exigences en matière d’équivalence avec EMIR.

En examinant de plus près les changements réglementaires précédents introduits par EMIR 2.2 et visant à renforcer la supervision des CCPs de pays tiers par l’ESMA ainsi que la stabilité financière, ces mesures, propres à l’UE, peuvent avoir une incidence sur l’accès à certains marchés financiers étrangers. En créant des exigences prudentielles immédiates pour les adhérents compensateurs européens et leurs clients avec la fin du régime transitoire en juin 2022 (exigences de fonds propres), l’impact combiné d’EMIR et de CRR a compliqué l’accès aux marchés financiers internationaux pour les institutions financières de l’UE. Egalement, l’équivalence temporaire du Royaume-Uni à EMIR pourrait avoir des effets collatéraux allant au-delà des segments systémiques des CCPs britanniques (EUR IRS, CDS, etc.). En effet, l’accès pour les européens à la compensation des marchés actions et des obligations d’État sur les marchés britanniques pourrait être impacté si l’équivalence à EMIR devait ne pas être confirmée au-delà de 2025 par la Commission Européenne. L’UE doit donc s’assurer qu’elle possède les bons outils pour ne pas entraver son accès aux marchés financiers mondiaux.

Afin d’évaluer l’impact potentiel des mesures introduites par EMIR 3.0 sur une éventuelle relocalisation de la compensation au sein de l’UE, l’exemple des Etats-Unis est également intéressant. L’activité de compensation des IRS libellés en USD a lieu principalement au Royaume-Uni chez LCH Ltd alors que la CCP américaine CME Clearing , tout en restant une option valide pour la plupart des adhérents compensateurs, n’a qu’une part de marché très limitée de ces activités.

Il semble donc essentiel de permettre aux banques de l’UE de continuer de jouer un rôle important sur les marchés au même niveau que leurs concurrentes étrangères. Cela doit être particulièrement mis en perspective avec le fait que la part de marché des adhérents compensateurs de l’UE représente une part minoritaire de la compensation totale des IRS libellés en euro par rapport à leurs concurrents internationaux.

Le débat sur la proposition EMIR 3.0 sera désormais porté par le Conseil et le Parlement Européen qui examineront de près l’efficacité potentielle des mesures proposées mais qui auront aussi à cœur de maintenir une capacité d’intervention au sein de l’UE via ses autorités de surveillance en cas de situations de crise sur les marchés financiers. L’examen du texte législatif devrait prendre de 12 à 18 mois.