Quels défis pour le non coté face à l’émergence des épargnants

La systématisation d’une poche dédiée au non coté dans les gestions pilotées des contrats d’assurance-vie et des plans d’épargne retraite ouvre de nouvelles perspectives.

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Un nouveau coup de pouce aux fonds de private equity

Dans le sillage de la loi industrie verte[1], l’accélération de l’ouverture des marchés d’actifs non cotés aux épargnants français aura de nombreuses conséquences opérationnelles. Un premier pas a été franchi ces dernières années avec des offres de fonds de private equity en unités de compte dans les contrats d’assurance vie, permis par la loi Pacte de mai 2019. Plutôt réservées à une clientèle haut de gamme, ces initiatives ont permis aux acteurs du marché de l’épargne (gérants de fonds, assureurs vie, distributeurs…) de roder leurs processus. Déjà, plus de deux milliards d’euros ont été levés par des fonds de capital investissement auprès des épargnants en 2023, dont plus des trois quarts à travers des unités de compte en assurance-vie, selon une étude[2]réalisée par France Invest et Quantalys. Le virage opéré grâce à la loi industrie verte, avec la systématisation d’une offre en non coté dans les gestions pilotées des contrats d’assurance-vie et des plans d’épargne retraite, sera d’une toute autre ampleur. Or, la majorité des assureurs vie n’a pas encore franchi le pas d’une offre en non coté. Par ailleurs, l’épargne retraite n’est restée pour le moment qu’un canal très secondaire de distribution dans ce domaine, bien que sa vocation d’épargne de long terme soit particulièrement adaptée. A l’avenir, une allocation minimale en non coté (private equity et dette privée en particulier), variable selon les profils, sera imposée dans les gestions pilotées en assurance-vie et en épargne retraite.

L’organisation de la liquidité de ces fonds d’investissement est clé

L’un des enjeux majeurs sera d’organiser la liquidité. Gérants et assureurs souhaitent l’offrir aux souscripteurs à travers la création de fonds « evergreen » (sans durée limitée), un format commun dans l’univers de l’asset management, mais dont beaucoup d’acteurs du non coté n’ont pas la pratique. Les fonds « fermés aux rachats » restent majoritaires parmi les fonds proposés aux épargnants, mais minoritaires en termes d’encours gérés relève d’ailleurs France Invest, qui constate que « les fonds evergreen permettent une meilleure gestion de la liquidité pour les gérants et les distributeurs (notamment via les contrats d’assurance-vie) ».

Le besoin d’un marché secondaire plus actif

Le pendant de ce besoin de liquidité pour les souscripteurs est la montée en puissance du marché secondaire des investisseurs institutionnels. Avant même le déploiement de la clientèle des particuliers, la demande pressante de liquidité de la part des investisseurs institutionnels apparue ces derniers mois milite en faveur d’un marché secondaire plus actif. Le ralentissement sur les cessions par les fonds de leurs participations limite les flux de distribution vers ces investisseurs et peut freiner la prise de nouveaux engagements dans des nouveaux millésimes. Permettre à ces souscripteurs de récupérer aisément leurs capitaux est nécessaire au bon développement de ces marchés. Le marché du non coté reste très intermédié par les sociétés de gestion et les institutionnels souhaitent gagner en autonomie. Dans cette perspective, le développement de plateformes digitales pour animer un marché secondaire permettra de fluidifier les échanges, de gagner en efficacité, d’améliorer la transparence des données, de faciliter le suivi des appels de fonds, au bénéfice des investisseurs comme des gérants, mais aussi d’accroitre la sécurisation des processus, dans un contexte en particulier de montée des risques de cyberattaque.

Des outils digitaux à même d’offrir transparence et sécurisation aux processus

De nouveaux outils digitaux devront en outre être élaborés afin de s’adapter aux besoins d’information de la clientèle des particuliers qui sont sensiblement différents de ceux des clients institutionnels. Cependant, les acteurs du private equity devront résoudre une difficulté qui tient à la nature des données, souvent non publiques, qui sont communiqués aux investisseurs professionnels. Il s’agira de faire preuve de pédagogie, de définir les différentes stratégies d’investissement mises en œuvre, d’expliquer qu’elles peuvent être leurs attentes en termes de rendement, de risque et de liquidité. Elles ne seront pas les mêmes selon le type de véhicule : un fonds evergreen dont le portefeuille est composé en partie d’actifs liquides ne délivrera pas la même performance qu’un fonds illiquide investi à 100% sur des actifs non cotés. De même, les fonds de fonds ou les fonds de dette privée, qui bénéficient de cash flows réguliers, seront plus adaptés à cette clientèle que des fonds d’infrastructures « greenfield » (dédiés aux nouveaux projets) et elle devra en être avertie. La nécessité pour les sociétés de gestion de présenter une large gamme de stratégies encourage aussi un mouvement de consolidation dans cet univers, les prises de participation, voire les acquisitions de gérants spécialisés par des acteurs multi-stratégies se multipliant.

Les défis opérationnels ne manqueront pas pour les gérants qui souhaiteront franchir le pas. Des défis très stimulants alors que répondre aux besoins de financement des transitions énergétiques passe nécessairement par la mobilisation de l’épargne privée.

[1] Promulguée le 23 octobre 2023, la loi industrie verte vise à encourager une réindustrialisation de la France fondée sur l’accompagnement de la transition environnementale et climatique.
[2] Non coté : accessibilité pour les épargnants (Mai 2024)