Les enjeux ESG vus par les investisseurs : l’âge de la maturité ?

L’intégration des facteurs ESG s’inscrit toujours plus dans la stratégie des investisseurs. Malgré des difficultés persistantes dans l’accès aux données, les méthodes d’intégration de ces critères gagnent en sophistication. Les investisseurs français ont pris de l’avance sur leurs partenaires européens et internationaux.

Points clés :

  • 22 % des investisseurs interrogés intègrent désormais l’ESG dans au moins 75 % de leurs portefeuilles.
  • L’accès aux données reste le principal frein à l’intégration des enjeux ESG dans leur stratégie même si des progrès ont été réalisés.
  • Dans le cadre de leur stratégie ESG, 61 % des investisseurs s’impliquent auprès des entreprises dans lesquelles ils investissent.
  • La France occupe une position de leader sur le sujet : 25 % des investisseurs français accordent une place centrale à l’ESG (contre 15 % des investisseurs européens et 12 % d’entre eux au niveau mondial).

La prise en compte des critères Environnementaux, Sociaux et de gouvernance (ESG) par les investisseurs a progressé et gagné en maturité au cours des deux dernières années selon les conclusions de la troisième édition de l’enquête ESG réalisée par BNP Paribas auprès de 356 sondés, dont 211 investisseurs institutionnels et 145 gestionnaires d’actifs. Ainsi, 22 % des investisseurs interrogés intègrent l’ESG dans au moins 75 % de leurs portefeuilles et ce chiffre devrait augmenter au cours des deux prochaines années. « L’ESG ne constitue plus une stratégie spécifique, parmi d’autres. Les questions de durabilité s’inscrivent désormais au cœur du processus d’investissement des équipes de gestion », relève Vera Delvoye, Asset Owners Segment Strategy Lead chez BNP Paribas Securities Services. Cette prise de conscience des investisseurs est manifeste au regard de l’évolution des réponses : en 2019, seuls 2 % des sondés admettaient que « l’ESG est une nécessité dans tout ce que nous entreprenons ». Le chiffre monte à 8 % cette année et devrait atteindre 24 % d’ici deux ans.

L’intégration des critères ESG préférée au filtrage négatif

Ce gain en maturité se traduit par un changement des pratiques des investisseurs concernés. Ainsi, les gestionnaires d’actifs et les investisseurs institutionnels privilégient l’approche de l’intégration systémique des critères ESG dans l’analyse financière (75 %) devant le filtrage négatif (56 %). Quant aux investissements thématiques (38 %) et à impact (36 %), ils montent en puissance. Ces différentes stratégies ESG proposées aux clients visent à répondre à plusieurs objectifs (image de marque, recherche de rendement, diminution du risque etc.). Il ressort de l’enquête que la réputation prend peu à peu le pas sur la recherche de la performance. Ainsi, 59 % des sondés citent l’image de marque et la réputation (contre 47 % en 2019) alors que l’amélioration du rendement à long terme n’est plus citée que par 45 % des répondants (contre 52 % en 2019).

L’enquête met aussi l’accent sur la volonté des investisseurs de s’engager directement auprès des entreprises dans lesquelles ils investissent. Ainsi, 61 % des investisseurs s’impliquent directement auprès des entreprises dans le cadre de leur politique d’engagement actionnarial. « L’engagement de l’investisseur auprès des émetteurs est un moyen efficace pour accéder à des données plus consistantes et de meilleure qualité. En tant qu’actionnaire, c’est également un moyen d’influencer les entreprises ciblées afin qu’elles conduisent des politiques d’entreprise plus responsables. Par ce levier, l’investisseur peut par exemple aider les entreprises à forte empreinte carbone dans leur recherche de solutions pour accroitre leur efficacité énergétique et contribuer à la transition énergétique, mais aussi générer indirectement de la performance extra-financière. C’est la méthode la plus efficace pour un investisseur qui veut réellement créer de l’impact », explique Vera Delvoye.

L’accès aux données, principal obstacle à l’intégration des critères ESG

En Europe, et en France en particulier, les progrès de la réglementation favorisent incontestablement cette prise de conscience des investisseurs, davantage que dans le reste du monde. En effet, l’année 2021 a été marquée sur le plan réglementaire par l’entrée en vigueur, le 10 mars 2021, du règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) au niveau européen, et le 27 mai dernier, du décret d’application de l’article 29 de la loi sur l’énergie et le climat (LEC) en France. Or, 48 % des répondants en Europe estiment comprendre ce règlement et ce qu’il implique pour leur organisation, alors que la mise en œuvre de la phase II du règlement n’est pas prévue avant juillet 2022. Au niveau mondial, on relèvera d’ailleurs que 65 % des sondés pensent que la réglementation est susceptible d’accélérer ou d’approfondir la stratégie ESG de leur organisation.

Néanmoins, l’accès aux données reste toujours le principal obstacle à l’intégration des pratiques ESG au sein des stratégies d’investissement. 59 % des répondants admettent des difficultés liées à la collecte et au traitement des données même si ce chiffre est en baisse (66 % lors de la dernière étude, en 2019) et 38 % mettent en avant le manque de cohérence des données d’une classe d’actifs à l’autre, un chiffre en progression (32 % en 2019). « Malgré les difficultés et le manque d’harmonisation des données à l’échelle européenne, nos clients progressent sur ces sujets en mettant l’accent sur le contrôle de leur qualité. La création d’équipes en interne ou la mise en place de partenariats avec des fournisseurs de données spécialisés témoigne de la prise de conscience des acteurs de la finance », estime Vera Delvoye. Ainsi, 45 % des sondés confient aujourd’hui que les ressources ESG sont intégrées à l’ensemble de leur organisation et ne sont plus considérées comme une fonction autonome, isolée des autres. Une progression spectaculaire par rapport à 2019 où ce type d’organisation ne concernait que 23 % des répondants. 

Montée en puissance de l’objectif « zéro émission nette »

L’attrait des investisseurs pour l’ESG diffère selon les classes d’actifs. Ce sont les intervenants sur les marchés actions qui s’intéressent le plus aux considérations ESG (69 %) devant les investisseurs obligataires (45 %) et les instruments verts (45 %). Il faut noter que les stratégies non cotées – infrastructures (41 %), Capital-investissement (38 %), Immobilier (37 %) – intègrent également de plus en plus les critères ESG dans le cadre de leurs investissements.

Cette dynamique de l’ESG se traduit également par la montée en puissance de l’objectif zéro émission nette » de gaz à effet de serre (GES) à horizon 2050. Cet objectif est un point de repère incontournable pour participer pleinement à l’objectif de l’accord de Paris de 2015, en contribuant à limiter à le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici le milieu du siècle. Cet engagement est ainsi acté par 19 % des sondés au niveau de leur entreprise, c’est-à-dire pour l’ensemble des classes d’actifs et des investissements/fonds, y compris le suivi des risques et des températures des portefeuilles.

Concernant cet objectif de neutralité carbone à horizon 2050, l’enquête a identifié trois groupes d’investisseurs : d’abord les leaders (37 % des sondés) qui se sont publiquement engagés à aligner tout ou partie de leurs investissements sur cet objectif ; ensuite les explorateurs (36 %) qui ont pris cet engagement mais sans avoir mis en place les premières mesures concrètes ; enfin les observateurs (27 %) qui n’ont pas encore pris d’engagement officiel. Enfin, si les investisseurs mettent beaucoup l’accent sur les critères environnementaux (le E d’ESG), le S (critères sociaux) reste difficile à intégrer dans l’analyse pour 51 % des répondants, contre celui de l’environnement (39 %) et de la gouvernance (27 %).

La France, bon élève européen en matière d’ESG

Au sein de l’Union européenne, la France confirme sa position de leader en matière de finance durable et plus précisément sur le thème de la transition énergétique. Dès 2015, la Loi de transition énergétique pour la croissance verte avait permis de poser un premier cadre ambitieux aux professionnels de la gestion, marqué notamment par l’adoption de l’article 173 relatif à la publication d’informations extra-financières dans leur reporting. En 2020, l’article 29 de la Loi énergie-climat a complété les exigences demandées aux investisseurs. « A côté de cet arsenal législatif, s’ajoute la pression exercée par les autorités de supervision de la finance (AMF et ACPR) qui ont été fortement mobilisées sur le sujet.  Dans le domaine des fonds (OPC), et dans l’optique de la bonne information aux porteurs de parts, l’AMF a publié la doctrine DOC-2020-03 sur les informations à fournir par les OPC intégrant des approches extra-financières afin d’encourager et accompagner la dynamique en faveur d’une finance durable et qui vise plus particulièrement les gérants et les distributeurs des fonds. Désormais, les fonds qui intègrent les critères extra-financiers sans en faire un engagement significatif et mesurable ne peuvent plus utiliser ces éléments ni dans le libellé du fonds ni dans leur communication centrale. Ainsi, l’écosystème français est en avance par rapport à l’Europe et sa réglementation SFDR (classifications article 6, 8 et 9). L’Europe fait également la course en tête par rapport au reste du monde », souligne Vera Delvoye.

Ce constat se reflète dans l’édition 2021 de l’enquête ESG. Ainsi, 25 % des investisseurs français confirment que les critères ESG s’inscrivent au cœur de leur approche contre 15 % de leurs partenaires européens et 12 % des investisseurs au niveau mondial. La proportion des investisseurs français qui se sont engagés à aligner leur stratégie avec l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 (22 %) est supérieure à celle de leurs concurrents internationaux (15 % pour les investisseurs européens, 18 % au niveau mondial). Parmi les répondants engagés sur la neutralité carbone, notons que 40 % des investisseurs français interrogés visent l’échéance 2030 (contre 36 % pour les européens hors de France), 20 % s’accordent sur l’année 2040 (6 % en Europe) tandis que 40 % restent engagés sur l’objectif de 2050 (58 % en Europe). Enfin, 50 % des investisseurs français disposent d’une équipe dédiée à l’ESG indépendante de l’équipe d’investissement, contre 31 % en Europe et 32 % au niveau mondial.

La plus grande adoption des pratiques d’investissement responsable à travers le monde donne des signes encourageants de la volonté des investisseurs institutionnels et des gérants d’actifs de contribuer à la transition vers une économie durable, malgré les obstacles. En Europe et en France en particulier, cette transformation est déjà bien engagée et va s’accélérer, soutenue par une finance durable dotée d’un cadre réglementaire européen propre depuis notamment l’entrée en vigueur le 10 mars 2021 du Règlement 2019/2088 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.