Qu’est-ce que la stratégie pour les investisseurs particuliers RIS (Retail Investment Strategy) ?
En septembre 2020, la Commission européenne a adopté le plan d’action pour l’Union des marchés de capitaux (UMC) en partant du constat que ces marchés jouaient un rôle clé dans le financement des entreprises de l’Union européenne mais qu’ils demeuraient cependant fragmentés, insuffisamment transparents et finalement sous investis par les investisseurs particuliers.
En mai 2021, la Commission européenne lançait par conséquent une consultation intitulée « A Retail Investment Strategy for Europe » visant à accroitre la protection et l’intérêt des investisseurs particuliers pour améliorer durablement leur participation au financement de l’économie.
Améliorer le parcours des investisseurs particuliers pour encourager les investissements en Europe
La Commission constate en effet que les investisseurs particuliers européens ont des taux d’épargne élevés (fin 2022, le taux d’épargne des ménages allemands s’élevait à plus de 20% et celui des ménages français à plus de 17%) mais que leurs investissements restaient néanmoins limités par rapport à leurs homologues américains.
Trois causes principales ont été identifiées par la Commission européenne pour expliquer les freins à l’investissement dans des produits financiers de l’Union européenne par les clients particuliers européens :
- Un mauvais rapport qualité/prix (Value for money) sur de nombreux produits financiers pour les investisseurs particuliers : les frais supportés par les particuliers seraient ainsi en moyenne 40% plus élevés que ceux supportés par les investisseurs institutionnels ;
- La difficulté des investisseurs à trouver des informations pertinentes, comparables et facilement compréhensibles pour prendre leurs décisions, certaines communications pouvant être irréalistes voire trompeuses ;
- Un conflit d’intérêt existant entre les acteurs concevant un produit et les acteurs en charge de sa distribution, du fait des rétrocessions des premiers aux seconds. Plus de 60% des investisseurs particuliers européens ont la perception aujourd’hui que les conseils qui leur sont apportés ne sont pas prodigués dans leurs intérêts.
En mai 2023, la Commission européenne a publié sa proposition de stratégie pour les investisseurs particuliers (RIS).
L’objectif du texte est de restaurer la confiance des investisseurs en leur donnant les moyens de prendre des décisions d’investissement éclairées en adéquation avec leurs besoins et préférences exprimées, tout en veillant à ce qu’ils soient traités équitablement et dûment protégés. A travers la RIS, la Commission souhaite poser les fondations d’une réglementation européenne transversale à l’ensemble des produits d’investissement.
Eléments de la proposition législative RIS
La proposition législative proposée par la Commission introduit des modifications ciblées mais importantes au cadre législatif existant. Elle est composée :
- D’une directive omnibus dédiée à
- la modification de directives spécifiques :
- MiFID, IDD : les modifications concernent (i) la protection des investisseurs (gouvernance produit, conflit d’intérêt, exigences professionnelles, document unique d’information, rétrocessions, adéquation aux préférences et risques de l’investisseur), (ii) les exigences de reporting et de transparence (informations sur les coûts et les instruments, transparence sur les frais, transparence des modalités de rémunération, encadrement des commissions, modalités d’informations des investisseurs). L’objectif de la Commission est d’aligner les règles applicables aux produits d’assurance vie fixées par l’IDD avec celles posées par MiFID qui régit les autres véhicules d’épargne et d’investissement.
- Solvency II : les modifications apportées visent à protéger les investisseurs particuliers contre les pratiques commerciales trompeuses et à garantir une communication marketing responsable de la part des intermédiaires financiers.
- La modification des directives sectorielles AIFM et UCITS : les amendements visent à améliorer la fourniture d’informations et la transparence des coûts, à résoudre les conflits d’intérêts et in fine mieux protéger les investisseurs.
- la modification de directives spécifiques :
- D’un règlement modificatif de PRIIPS. Les modifications visent à moderniser le document d’informations clés (DIC) : ajout de deux nouvelles sections intitulées « Le produit en résumé » et « Dans quelle mesure le produit est-il durable sur le plan environnemental ? », renforcement de la communication sur les performances passées, introduction d’un simulateur de coûts pour aider à la comparabilité des produits entre eux, nouvelles modalités de mises à disposition du DIC sous format électronique.
La directive omnibus est structurée autour de plusieurs objectifs :
- Le rapport qualité/prix produits, l’objectif étant d’accroitre le rendement pour les investisseurs, en diminuant certains coûts et frais jugés excessifs:
- Les règles de gouvernance des produits sont renforcées en imposant un contrôle du rapport prix/performance des produits par rapport à des valeurs de référence (benchmarks) préétablies par l’ESMA. Les produits qui s’écarteront des benchmarks ne devront pas être commercialisés. La comparaison avec le benchmark doit s’effectuer au démarrage du produit ainsi que pendant sa durée de vie.
- Chaque produit, qu’il soit nouveau ou existant doit identifier et quantifier les coûts (production, distribution et conseil), les frais et les performances. De nouveaux rapports relatifs aux coûts devront par conséquent être mis en œuvre par les sociétés de gestion à destination de l’ESMA ou de l’EIOPA. De plus, les investisseurs individuels devront être remboursés en cas de facturation de coûts indus.
Des mesures techniques de niveau 2 (Regulatory Technical Standards ou RTS) doivent compléter ces points.
- L’encadrement des incitations financières, l’objectif étant de supprimer les biais potentiels dans le conseil en réduisant les risques de conflits d’intérêts entre les investisseurs particuliers et les distributeurs, en particulier ceux liés aux schémas de rémunération :
- Les rétrocessions pour les services d’investissements sans conseil sont interdites, comme l’activité de Réception et transmission d’ordres (RTO) ou encore la vente sans conseil. Les effets de ces interdictions seront évalués trois ans après l’entrée en vigueur de la directive et cela pourrait évoluer à terme vers une interdiction totale des rétrocessions.
- Les informations fournies aux investisseurs sont renforcées concernant le paiement de commissions.
- Les règles d’information et de communication sont également renforcées afin d’améliorer la transparence globale des produits et la lisibilité de l’information délivrée aux investisseurs, en renforçant la dématérialisation des échanges :
- L’obligation d’une politique en matière de communication et de pratiques commerciales est instaurée. Les communications marketing doivent être claires, équitables et non trompeuses, indépendamment du canal par lequel elles sont distribuées, que ce soit directement par les entreprises d’investissement ou indirectement, par exemple via des influenceurs financiers ou des « finfluenceurs ».
- Les informations fournies aux investisseurs sont normées et simplifiées, notamment via le DIC, sous format électronique. De plus, les investisseurs devront recevoir un relevé annuel reprenant l’ensemble des produits auxquels ils ont souscrit avec le détail des coûts et des frais supportés ainsi que la performance réalisée par produit.
- La communication relative au niveau de risques du produit est renforcée avec l’obligation d’inclure des avertissements pour les produits particulièrement risqués.
- Le renforcement de l’adéquation du produit proposé aux besoins, intérêts ou préférences de l’investisseur particulier. Sont désormais pris en compte :
- La capacité de l’investisseur à subir des pertes partielles ou totales ainsi que son appétence au risque. Si l’évaluation est négative, le produit ne peut être proposé au client sauf s’il le demande expressément.
- La diversification de l’ensemble des portefeuilles de l’investisseur sur la base des informations fournies par ce dernier.
- Le maintien des qualifications professionnelles : la RIS souligne l’importance du maintien de normes de qualifications professionnelles élevées pour les conseillers financiers dans un contexte de complexification des offres et des produits. En veillant à ce que les conseillers possèdent en permanence les connaissances et l’expertise nécessaires, le texte vise à fournir aux investisseurs particuliers un accès à des professionnels compétents qui peuvent les guider efficacement en tenant compte de leurs intérêts.
- L’amélioration de l’éducation financière des investisseurs particuliers : la RIS encourage les états membres à mettre en œuvre des mesures qui sensibilisent et soutiennent les connaissances financières des investisseurs particuliers y compris les risques associés à l’investissement.
- L’assouplissement des critères de segmentation entre investisseurs particuliers et professionnels : afin d’améliorer l’accessibilité aux investisseurs particuliers avertis, la RIS assouplie les critères de segmentation entre les investisseurs particuliers et professionnels. Ainsi le seuil sur les avoirs financiers est abaissé de 500 k€ à 250 k€ et l’appréciation de la qualité de l’investisseur tient compte à la fois de l’expérience et de son éducation financière. Cette mesure garantit aux investisseurs particuliers qualifiés l’accès à une gamme plus large de produits et de services d’investissement.
- Le renforcement de l’application des règles de supervision au sein de l’Union européenne : la RIS instaure une obligation de communiquer les informations sur les activités transfrontalières, autorise les ANCs (Autorité Nationale Compétente) à restreindre l’accès à des sites web nuisibles et à procéder à des tests d’achats secrets. Le texte renforce également le pouvoir des ANCs pour une supervision plus efficace et une meilleure coordination avec à la clé une fréquence accrue probable des contrôles effectués en coordination par ces autorités.
Acteurs et produits financiers impactés
La proposition législative impacte directement les producteurs (asset managers, assureurs, banques privées et de détail, banques d’investissement) ainsi que les distributeurs (assureurs, banques privées et de détail). Les produits concernés sont les fonds (FIA ou UCITS), les produits d’assurance vie, les produits structurés.
Etat d’avancement et prochaines étapes
Le Parlement européen a voté sur ses amendements de compromis au paquet législatif proposé par la Commission. Ce vote intervenu le 23 avril 2024 constitue la position de négociation du Parlement. Le 12 juin 2024, le Conseil de l’UE a adopté sa propre position de négociation. Ces positions respectives ouvrent la voie aux négociations interinstitutionnelles (trilogues) entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE qui débuteront au dernier trimestre 2024, après l’entrée en fonction de la nouvelle Commission.
Les positions du Parlement et du Conseil sont différentes sur plusieurs points clés du texte, notamment :
- Les incitations financières : le Parlement soutient une interdiction des incitations pour les conseillers financiers alors que le Conseil permet le maintien des rétrocessions dans le cadre des ventes « execution only » c’est-à-dire les ventes sans conseil. Le Conseil ajoute cependant dans ce cas un ensemble de garanties renforcées afin d’encadrer tout conflit d’intérêt potentiel (exigences de transparence accrues, mesures pour s’assurer qu’un conseiller agit dans l’intérêt exclusif de l’investisseur).
- Le rapport qualité/prix (value for money) : le Parlement est en faveur des exercices de benchmarking obligatoires afin de garantir le rapport qualité/prix du produit d’investissement, ce qui implique de comparer coûts et performances des produits similaires entre eux. Le Conseil s’oppose à cette obligation en considérant que le benchmarking est un outil réservé à la supervision. Les entreprises peuvent ainsi comparer leurs produits avec un groupe de pairs ou benchmark de supervision élaboré par l’ESMA ou l’EIOPA.
- La conception et gouvernance des produits : le Parlement attend des normes de gouvernance plus strictes pour les produits financiers (notamment la surveillance du produit en continu) pour s’assurer qu’ils sont toujours adaptés au marché cible. Le Conseil est d’accord sur la nécessité de renforcer la gouvernance mais retient une approche moins stricte.
Les négociations à venir seront déterminantes pour arrêter une position commune et ainsi finaliser la RIS. Il est encore prématuré de savoir quand le texte final sera adopté et publié. Initialement, la date d’entrée en application du texte était attendue pour 2026. Ce calendrier pourrait être décalé en fonction de la durée des négociations en trilogue.
Quelles sont les implications de la RIS pour les acteurs financiers ?
Comme précisé ci-dessus, la RIS a un impact important à la fois sur les acteurs et sur les produits. Les acteurs financiers soutiennent fortement l’initiative d’accroître la participation des clients particuliers aux marchés financiers. Cependant, beaucoup d’entre eux craignent aussi que les changements envisagés entraînent des conséquences négatives pour les investisseurs particuliers, en ajoutant davantage de lourdeur réglementaire à un processus d’investissement déjà complexe.
L’interdiction des rétrocessions pour les services d’investissements sans conseil ou la non-commercialisation de produits qui s’écarteraient des benchmarks pourrait également limiter la gamme de produits disponibles pour les investisseurs particuliers, en mettant en avant les produits « les moins chers ». En l’état, la proposition législative pourrait menacer la capacité des intermédiaires financiers à offrir des solutions personnalisées et potentiellement plus avantageuses à leurs clients. Les investisseurs modestes et les PME seraient particulièrement touchés.
La position de Securities Services
BNP Paribas accueille positivement ces modifications qui visent à renforcer la protection des investisseurs, améliorer la transparence et traiter les conflits d’intérêts.
Grâce à cet ensemble complet de mesures, la Commission européenne espère accroitre la participation des investisseurs particuliers aux marchés financiers européens et ainsi contribuer au financement de la transition vers une économie numérique et durable.
Cependant, un juste équilibre devra être trouvé par les institutions européennes pour parvenir à cet objectif en évitant une complexification du processus d’investissement et une potentielle réduction des produits et services offerts aux investisseurs particuliers.
Acronymes
- AIFMD : Directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs
- ANC : Autorité Nationale Compétente
- DIC : Document d’informations clés
- ESMA : Autorité européenne des marchés financiers
- EIOPA : Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles
- FIA : Fonds d’Investissement Alternatif
- IDD : Directive sur la distribution d’assurances
- MiFID : Directive sur les marchés d’instruments financiers
- PRIIPS : Produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance
- RTO : Réception et transmission d’ordre
- RTS : Norme technique réglementaire
- SOLVENCY II : Cadre réglementaire européen pour les compagnies d’assurance
- UCITS Directive : Directive appliquée aux Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM)
- UE : Union Européenne
Dates clés
- Septembre 2020 : Adoption du Plan d’action pour l’Union des marchés de capitaux par la Commission européenne
- Mai 2021 : Consultation « A Retail Investment Strategy for Europe » publiée par la Commission européenne
- Mai 2023 : Publication de la proposition législative RIS par la Commission européenne
- Avril 2024 : Adoption de la position du Parlement
- Juin 2024 : Adoption de la position du Conseil de l’UE
- Q4 2024 : Début estimé des négociations interinstitutionnelles (trilogues) entre la Commission, le Parlement et le Conseil
- 2026 : Date annoncée initialement pour la mise en application de la RIS (à confirmer en fonction de la durée des négociations en trilogue)